13 septembre 2023
- Anne ! On a reçu le faire-part.
- Oh ! Et Alors, il s’appelle comment ?
- Ça va, ils l’ont appelé Hugo.
- Donc pas de Johny ni de Bob. Parfait. On a échappé au pire.
Je rigole.
- Mais, qu’est-ce qu’il fiche torse poil lui derrière ?
(Anne est encore toujours un peu choquée par cette histoire)
Début octobre 2023
Nous sommes jeudi, il est 16h45, soit l’heure de filer à l’apéro. C’est devenu une tradition : sitôt le dernier cours de la semaine terminé, on se retrouve dans un bar de Porrentruy pour passer un moment ensemble, rigoler, et commencer le week-end l’esprit allégé. Aujourd’hui, on est cinq : Steph, Jeanne, Julie, Valentin et moi. On s’assied dans la partie fumeurs, on commande des blondes 0,5l et c’est parti, à tour de rôle, on se raconte les pépites de la semaine. Chacun y met de son anecdote ; il faut dire qu’en enseignant à un public tel que le nôtre, les cours sont souvent quelque peu chaotiques. Mélangez 50% d’absentéisme, 30% de non motivation, 10% de traumatismes sévères, 5% de misogynie et 5% de supériorité intellectuelle, et vous obtenez le climat moyen régnant dans nos classes. La plupart du temps, et bien qu’on désespère du dimanche soir au jeudi après-midi, ça nous amuse. Husein qui arrive en costard et mocassins chaque matin, et qui depuis 3 ans n’a toujours pas appris à conjuguer un verbe en -er, Amine dans sa voiturette sur le trottoir, Rayban sur le nez et redbull à la main et qui manque de renverser la moitié des piétons qu’il croise, Ilma qui lance des sauterelles sur sa formatrice pendant qu’elle parle, Kahil qui a appris à dire « tu es très belle », et s’en sert à toutes les occasions, Yousouf qui pense que parler français signifie être capable de lire Victor Hugo, Yasmina qui ne parle qu’en anglais, uniquement au sujet de films d’horreurs, ou encore Osman, ancien religieux turc, qui passe ses dimanches à se promener dans le cimetière catholique pour comprendre les mœurs de la région… hilarant, I swear. Ils sont trop chous, et partager tout ça refait nos journées.
Mais ce soir Jeanne nous fait part d’une histoire plus triste que de coutume. Elle nous explique qu’une de ses participantes, Olga, réfugiée ukrainienne, arrive tous les jours en pleurs en classe depuis quelques temps. Elle a essayé de lui parler pour savoir ce qui la remuait à ce point (comprenez : en plus de la guerre, des bombes, de l’appartement minable dans lequel elle vit avec son mari et leurs 4 enfants, bref tout ça tout ça). Et la réponse d’Olga a été : l’amour. Et oui, elle pense que son mari Yuriy la trompe. Ce n’est pas une certitude, juste un doute qui s’est immiscé en elle, a grandi progressivement, et qui maintenant l’angoisse complètement. C’est la petite goutte de trop. Son mari est sa seule attache en Suisse, ils ont tout traversé ensemble jusqu’ici, au propre comme au figuré, et elle est terrifiée qu’il l’abandonne…
Fin octobre 2023
Jeudi, 16h45, de nouveau à l’apéro, avec les mêmes personnes. Je parie que vous vouliez la suite de l’histoire, nous aussi (mais il nous aura fallu attendre 2 semaines, et vous seulement 3 lignes, ce qui est totalement injuste). Alors voilà, il se trouve que c’est Julie qui a découvert le pot-aux-roses. Précisons que Julie est un peu la maman du groupe, elle fait les choses bien, est toujours de bonne humeur, pleine de bonne volonté, elle boit des kyres et pas de bière… mais elle est aussi assez naïve, et rapidement choquée par des broutilles. Vous voyez le genre. Alors quand elle s’est rendue à la salle des maîtres pour plastifier ses cartes de vocabulaire (quand je vous dis qu’elle fait vraiment tout bien…) elle ne s’attendait sûrement pas à trouver sa collègue Paulina avec… Yuriy. Les deux tourtereaux en train de s’embrasser à pleine bouche. Oui oui, tout à fait, Paulina est une formatrice, une de nos collègues, et elle était avec un participant, et pas n’importe quel participant, elle était avec le mari d’Olga. C’est-à-dire, pour remettre les choses tout à fait à leur place et en introduisant un détail pas encore mentionné, que Paulina est la deuxième formatrice intervenant dans la classe de Yuriy et Olga, et qu’elle a couché (couche) avec son élève.
Commentaires post apéro(s)
Anne, notre cheffe, n’a évidemment pas hyper hyper apprécié la nouvelle. Elle a directement demandé un entretien avec Paulina, a menacé de la virer parce que même si on n’est pas prof et bien ce n’est pas un comportement très déontologique… mais les choses sont finalement rentrées dans l’ordre. Yuriy et Olga ont simplement dû changer de classe. Yuriy a quitté sa femme, Paulina son copain, et tous deux ont pu poursuivre leur idylle. Idylle qui s’est magnifiquement conclue sur… un bébé hybride formatrice-ukrainien <3. Bienvenue Hugo !