Jour D

Il était 7h. Maman est montée les escaliers qui ont craquelé fort et notre attente. « Iels viennent d’appeler. Il faut qu’on y aille. C’est pour bientôt ». J’ai demandé c’est quoi bientôt ? Je peux prendre une douche ? Oui bien sûr, iels ont dit venez tranquillement. Tranquillement ça laisse le temps d’une douche. Alors j’ai lavé lentement soigneusement mes cheveux. J’ai même fait les deux, je m’en souviens. Shampoing et après-shampoing. Je les ai brossés, mes cheveux, ces cheveux, calmement, mécaniquement, méthodiquement, jusqu’à ce qu’ils respirent le doux à la jonquille-camomille. J’ai fait ça pour essayer de mettre de l’ordre quelque part, pour la maîtrise vous savez. Et aussi un peu pour être belle la dernière fois, je crois … Maman et Julien m’ont attendue quelques minutes, quelques petites minutes de rien du tout, tout juste assez pour que dans ce jour épais habillé de noir 

un petit détail brille

Et on est parti. C’est Julien qui a conduit. Le calme qu’on s’imposait était pesant de trop mais vous vouliez qu’on fasse comment et d’ailleurs pendant que mon cœur frappait pour survivre -lui- je me suis dit Laura respire et déjà ça, déjà ça…

« Tu as appelé Anne-Marie ? ». 

« Oui, elle n’y arrivera pas, elle garde les petits cousins ».

« D’accord ». 

Il faisait beau. On était le 2 juin. Depuis le parking de l’hôpital, on voyait à gauche la forêt ; et à droite la ville. En haut comme d’habitude le ciel et en bas le bruit de nos pas. Normal. Tout était à sa place. Et parce qu’on arrivait encore à le faire on marchait. « Vous êtes sûrs de vouloir, mes amours ? »

« Oui ».  

Vouloir te voir. 

On est entré. « Maman, je crois qu’il me faut un calmant ».
Puis on s’est annoncé à l’accueil, le formulaire Covid plus besoin. Elles savaient qui on était. Et surtout elles savaient où on allait : deuxième étage c’est par là-bas mais vous connaissez déjà allez-y. Ce demi-sourire non les lèvres légèrement étirées compatissantes elle a cru quoi mais c’est vrai je ferais quoi moi et les autres non plus personne ne sait…

Et ces marches qui m’étouffaient. Et ce couloir comme les autres depuis le début depuis toujours trop blanc, trop serré, qui puait et qui sans doute pue toujours, surprenant parce que ce ne sont pas les mêmes qui sont là mais l’odeur elle c’est toujours pareil. Bien sûr que c’était trop haut, trop loin, trop dur. Bien sûr que j’avais peur.

Et pourtant lentement on est monté, ensemble, les trois à côté chacun·e seul·e, on a affronté une à une ces marches interminables comme on aurait… Je sais pas finalement, comparer quoi pourquoi ? En face de nous des dizaines de dessins, de mots gentils. Sur un panneau celui-ci : merci. Merci. Majuscule. Je me suis dit merci qui ? À lui d’avoir été là ou à elleux d’être avec nous pour le lui dire ?

Au sommet ou au fond le médecin lui au milieu du couloir debout comme nous différent puisqu’ailleurs, proche mais de loin il nous a dit bonjour. Sa voix était accueillante, chaleureuse, confiante. Tout était à sa place oui puisqu’iels l’avaient dit oui iels avaient bien dit venez vous avez le temps… non ? Non. Je l’ai senti dans son visage, ses gestes. Un décalage dans sa posture et dans la demi-seconde de trop qu’il a prise avant de nous dire de le suivre. Ou alors dans son regard. Oui, c’était plutôt dans son regard, dans ses yeux au fond desquels cette lueur redoutée redoutable infernale qui disait

 désolé, vraiment navré, il est parti sans vous.  

Alors, après

ou avant on a compris. Le médecin a ouvert la porte pour nous laisser entrer. Maman pleurait. Julien je ne sais pas. Moi non plus. À la question « Combien de temps ? » – « Quelques minutes ».

Et on était là planté·e·s autour de lui éteint

et mes cheveux qui brillaient pour rien. 

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